Le système de sécurité des enfants anxieux

De la perception d’une menace jusqu’au retour au calme, le système de sécurité de notre cerveau déroule quatre étapes :

  1. il déclenche notre anxiété (alerte)
  2. il nous la fait ressentir (alarme)
  3. il nous pousse à l’exprimer (évaluation)
  4. il nous en libère (fin d’alerte)

Le système de sécurité fonctionne ainsi dès la naissance. Il se complexifie ensuite progressivement au fur et à mesure que l’enfant grandit, mais il garde toujours l’enchaînement de ces quatre étapes.

« Quand un bébé ressent une menace, un danger, il pleure pour que quelqu’un vienne le protéger et satisfaire ses besoins. Tout adulte s’occupant d’un tout petit a deux responsabilités. La première est de s’interposer entre ce bébé et le danger et de l’affronter. La seconde est de rester auprès du bébé et de le réconforter jusqu’à ce qu’il reprenne confiance en son environnement et se sente en sécurité. » (Lawrence Cohen, p.44)

Tout commence par un état plutôt calme et serein. Puis, l’alerte active le système de sécurité à la moindre perception de danger, la menace n’étant pas forcément réelle, et il peut même s’agir d’un souvenir ou d’une image. Ensuite, l’alarme plonge l’individu dans un état anxieux, qu’il ressent mentalement et physiquement. L’évaluation permet alors de réfléchir posément et de juger le niveau de danger et de sécurité de la situation. Au final, la fin d’alerte signale à l’alarme qu’elle peut s’éteindre : « tout va bien, je peux m’apaiser et respirer, je suis en sécurité ». L’état d’hyper vigilance et d’alarme ressentis mettent le corps tellement en tension qu’il faudra un certain temps à l’individu pour se calmer complètement.

Voilà comment cela se passe pour les individus peu anxieux. Comme nous nous en doutons, il en est autrement pour les personnes anxieuses. Celles-ci ont tendance à maintenir une hypervigilance quasi permanente. En outre, leur alarme est extrêmement sensible, elles évaluent souvent mal la situation et sont lentes à se calmer, à percevoir le signal de fin d’alerte.

En fait, plusieurs dysfonctionnements peuvent opérer dans le système de sécurité des enfants anxieux, comme l’explique Lawrence Cohen (J’ai plus peur, p.47) :

« Certains enfants, constamment en alerte, scannent sans cesse leur environnement à la recherche d’un danger, ce qui limite leurs activités courantes et empoisonne leur vie. Chez d’autres, un seuil d’alarme trop bas déclenche des réactions extrêmes face à des situations qui ne présentent pas vraiment de danger, comme des pensées, des émotions ou un changement de routine. Enfin, du fait de leur signal de fin d’alerte très faible, d’autres enfants se calment difficilement une fois leur anxiété éveillée. »

Passons maintenant en revue chaque étape du système de sécurité, en portant particulièrement notre attention sur les enfants anxieux.

Le signal d’alerte vigilant

Chacun d’entre nous consacre un peu de son énergie mentale à une veille de son environnement afin d’en déceler tout danger potentiel. Cette vigilance nécessite une toute petite partie des ressources cérébrales et n’interfère pas avec d’autres activités. A contrario, chez les enfants anxieux, les alertes occupent une grande place mentale. Ils cherchent en quasi permanence des raisons de s’inquiéter.

L’alarme face au danger

En cas de danger, une alarme efficace pousse à agir : à lutter, évaluer la situation, fuir, se cacher ou appeler à l’aide. En l’absence de danger, l’alarme n’a pas de raison de sonner. Si elle se déclenche quand même, comme c’est le cas pour les enfants anxieux, elle provoque l’anxiété et s’exprime par des tensions, de l’agitation, de l’évitement, des ruminations et de la souffrance.

En général, les enfants anxieux perdent le contrôle de leur comportement lorsqu’ils sont confrontés trop brutalement (selon leurs propres ressentis et non les nôtres!) à ce qui les effraie.

L’évaluation du danger

Nous savons si nous sommes face à un vrai danger en l’évaluant. L’évaluation prend le temps nécessaire pour confirmer ou infirmer la réalité d’une menace. Puis, selon le cas, soit elle ordonne à l’alarme d’accroître la réaction de peur, soit elle déclare qu’il n’y a rien à signaler et demande à l’alarme de se désactiver. Par exemple, « ce n’est qu’une pensée de loup, ce n’est pas un vrai loup, fausse alarme ». Les enfants peu anxieux placent leur signal d’alarme en attente pendant qu’ils évaluent la situation. Les très anxieux ne peuvent pas. L’intensité de leur signal d’alarme interfère avec l’exactitude de leur évaluation.

L’évaluation correcte d’un danger implique de disposer d’informations fiables, exactes. Or, les enfants anxieux sont plutôt du genre à percevoir du danger un peu partout, qu’il soit réel ou non. Contrairement aux autres enfants, qui évaluent plus objectivement leur environnement.

En plus, les enfants anxieux ont tendance à éviter de se confronter à ce qui les effraie. Or, en agissant ainsi, le mécanisme d’évaluation de peut pas s’enclencher. Il n’a aucune nouvelle donnée permettant de comprendre et de juger la situation. Même si, a posteriori, une figure d’attachement tente d’expliquer la situation passée afin de signaler la fin d’alerte (« ce n’était pas un serpent, c’était un bâton »), cela reste souvent sans effet : le cerveau anxieux peine à accepter les fins d’alerte provenant de l’extérieur. Il concentre son attention sur les pensées et les images qui tourbillonnent dans sa tête. C’est comme si le cerveau anxieux informait le cerveau rationnel qu’il n’a pas besoin d’évaluer la situation : « je sais déjà que je suis en danger! ». Sans évaluation, la peur et l’anxiété continuent d’être activées.

Les croyances sont aussi une source d’enracinement de l’anxiété car elles peuvent fausser l’évaluation d’une situation. Elles forgent les émotions, pas la réalité. Il est difficile de s’en défaire, surtout lorsqu’elles sont en lien avec des peurs.

« Les enfants anxieux ont tendance à entretenir de nombreuses croyances effrayantes sur le monde. Heureusement, les enfants opèrent plus facilement des mises à jour de leurs croyances que les adultes. » (Lawrence Cohen, p.54)

Le signal de fin d’alerte, ou la remise à zéro du système de sécurité

La peur, l’anxiété et l’inquiétude sont là pour nous protéger, mais nous avons besoin de pouvoir éteindre leurs signaux d’alarme quand le danger est passé ou qu’il s’agissait d’une fausse alerte. Cette remise à zéro du système de sécurité permet au corps et à l’esprit de se détendre. Une alarme qui sonnerait en permanence serait aussi inutile qu’une alarme qui ne se déclencherait jamais.

Pour bien comprendre le fonctionnement de remise à zéro du système de sécurité, indispensable à la réassurance et à l’apaisement de l’enfant, nous allons prendre un exemple issu du monde végétal.

Francis Hallé, botaniste interviewé dans la revue Sciences et Avenir, HS n° 189, avril-mai 2017, étudie l’intelligence des végétaux, notamment de la sensitive. Cette plante est connue pour replier ses feuilles quand on la touche parce qu’elle se croit menacée. La faculté de remise à zéro du système de sécurité par la sensitive est stupéfiante. Voici ce que nous en dit cet éminent botaniste:

« Lorsque vous la cultivez à l’intérieur, elle pousse sans connaître la pluie. Le jour où vous la placez dehors, au contact des premières gouttes, ses feuilles se referment parce qu’elle perçoit ces petits chocs comme un danger. Mais au bout de quelques pluies, elle aura compris qu’elle ne court aucun risque et gardera ses feuilles ouvertes. Exposée de nouveau à l’averse après plusieurs années passées au sec, elle ne se repliera pas, ayant mémorisé l’absence de danger. » (p8)

En d’autres termes, cette plante a la faculté de déclencher son système d’alerte, son mécanisme d’alarme, d’évaluer le danger, et d’éteindre son alarme. En outre, elle mémorise les menaces selon qu’elles sont réelles ou pas et y répond de manière adaptée. Quelle que soit la situation, il y a toujours un moment où l’alarme est éteinte, le système de sécurité étant ainsi remis à zéro.

C’est également comme cela que fonctionne l’être humain face au danger, et probablement la plupart des êtres vivants de notre planète. Sauf…les anxieux, et particulièrement les enfants anxieux, qui vivent en état d’alerte aiguë, déclenche l’alarme plus facilement, y réagissent plus spectaculairement et l’éteignent plus difficilement. En outre, dans la mesure où ils étudient en permanence leur environnement à la recherche d’un danger potentiel, ils apprennent difficilement de leurs expériences sécurisantes.

Si un enfant manifeste juste un peu d’anxiété, nous l’encourageons à déclencher la fin d’alerte en quelques paroles réconfortantes (« regarde mon chéri, c’est juste un bâton, pas un serpent »). Son système d’évaluation et son signal de fin d’alerte finissent le travail. Manque de chance, cela n’est pas aussi simple si l’enfant est très anxieux. Notre rôle est alors de lui procurer apaisement, protection et informations fiables. Le rôle de l’enfant, quant à lui, est de s’imprégner des preuves de sa sécurité et de franchir lui-même la dernière étape :

« Ses sirènes d’alarme hurlent plein pot, avec insistance, empêchant la remise à zéro du système. Nos paroles réconfortantes tombent à côté de la plaque ou sont violemment balayées. Nous ne pouvons pas nous insérer dans les mécanismes du système de sécurité de notre enfant et déclarer la fin d’alerte à sa place. Ça ne marche pas comme ça. Seul l’enfant peut désactiver son signal d’alarme en proclamant lui-même la fin d’alerte ». (Lawrence Cohen, p.56)

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